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ثقافة "Poétique de la V.H.S. et politique du drone" d’Ismaël: De la finitude de l’image, de sa multiplicité et de ses pouvoirs

نشر في  01 جويلية 2021  (10:54)

C'est dans le cadre d’une master class donnée lors de la troisième édition du festival Gabès Cinéma Fen (18 au 26 juin 2021), que le cinéaste Ismaël a présenté à la salle l'Agora, son nouveau film -qu’il qualifie d’essai- « Poétique de la V.H.S. et politique du drone » ainsi que trois courts métrages («Selfportrait01», «Fragments of self-phone-destructionII» et «Li(f/v)e» en première mondiale).

Dans « Poétique de la V.H.S. et politique du drone », le cinéaste exécute un geste documentaire créatif dans lequel il allie, jusqu’à la contradiction, des images de natures différentes (nous avons dénombré tout au long du film plus qu’une dizaine de sortes d’images telles que les images cinématographiques, policières, celles de la réminiscence, d’autres provenant de caméras de surveillance, de drones ou captées par satellite, etc.)

Dans ce geste filmique, il est question d’une réflexion sur l’image, sur sa multiplicité et sur la diversité de ses médiums ainsi que sur la mutation de l’image à travers le temps.

La réflexion porte aussi sur la finitude de l’image et sa durée de vie limitée et sur le pouvoir des images qui racontent le monde dans sa cruauté, dans son ridicule, ou sa beauté.

Bien que praticien des images, Ismaël prend cette distance nécessaire par rapport au flux d’images qui envahit l’espace visuel humain pour exprimer un point de vue. « La réalité virtuelle colonise le territoire de la réalité... Le réel est à reconquérir  » dit-il. Le cinéaste fait donc ce constat d’un monde hyper imagé dans lequel des milliers d’images viennent s'ajouter chaque heure à la « vidéosphère », expression utilisée par Régis Debray, pour désigner le règne de l’image et de son immédiateté.

Dans ce dessein, Ismaël entremêle l’histoire personnelle et celle collective de l’image. A commencer par cette première projection sur grand écran lorsqu’il était encore enfant, par l’effet du son du projecteur, puis par les images du premier ordinateur familial acheté à la fin des années 90, jusqu’aux mutations qui se sont opérées sur les médiums et les modes de captation des images telles que celles prises par le moyen des drones.

L’instance narrative portée par la voix-off d’Ismaël fait résonner l’écho du défilement d’images d’un extrait d’un ancien film, suivi par une acoustique « poétique » de la VHS (Video Home System) qui a élargi l’accès à la consommation filmique avant l’arrivée du numérique et du partage à grande échelle. Clin d’œil au réalisateur chinois Wang Bing, le premier à avoir tourné en numérique.

De la profusion « imagesque », Ismaël s’intéresse plus particulièrement aux images policières, à celles du foot, et à celles de l’armée américaine. Mais il demeure habité par une obsession, celle de vénérer l’image et de vouloir l’annihiler en même temps.

Dans la première partie du film, il défend l’idée de la finitude des images. Il dit que son pire ennemi, c’est la restauration car « restaurer un film revient à effacer son histoire », et il ajoute « les éraflures, les tâches, sont toutes des traces qui témoignent du passage du temps ».

Alors que dans la deuxième partie du film, Ismaël glorifie l’image en s’appuyant sur un tas d’extraits (filmiques, policiers, droniques) pour mettre en exergue ses pouvoirs et dire en quelque sorte que toute expression serait diminuée si sans image.

De cette opposition, Ismaël dit ce qui suit : « Je suis ce que je déteste être, c’est à dire que je veux effacer toutes les images mais que je n’en fait que générer... C’est cela mon principe : sauver les images de l’oubli, et tout faire pour qu’elles soient oubliées».

Ce vacillement/dédoublement de la pensée et de la vision n'altère en rien la force de l'image, puisque l’idée de son pouvoir est clairement exprimée. Le réalisateur soutient ce qui suit : « Lorsqu’une image entre en résonnance avec le cerveau, il y a naissance d’une autre image, il y a toujours donc une excroissance, et c’est pour cela que les images et le cinéma sont fascinants ».

Et c’est dans ce sens qu’un extrait policier filmé dans l’intimité d’un opposant politique du temps de Ben Ali dénonce la démesure du pouvoir en place qui usait de l’enregistrement comme outil de chantage. D’autres extraits -de films- soulignent le pouvoir fabulateur des images irréelles, fantastiques, utopiques qui font miroiter des mondes possibles.

Pareil pour les images documentaires avec leur force poignante. L’histoire est quant à elle ressuscitée grâce aux films qui viennent témoigner ou « fictionner l’histoire » pour reprendre une expression de Jacques Rancière. Enfin, les images filmées par des drones permettent de révéler des vérités tues comme celle de ce journaliste photographe de Reuters victime d’un bombardement américain en Irak.

 « Poétique de la V.H.S. et politique du drone » retrace donc un pan de l’histoire des images, qu’elles soient cinématographiques ou autres, mais ouvre surtout un horizon de réflexion sur la mutation de l’image dans un monde où la technologie ne cesse d'évoluer pour reconfigurer chaque jour, à nouveau, l’espace du sensible.

Ismaël relève le pari d’un melting-pot dans lequel les images, aussi différentes que soient leurs natures, se combinent pour servir une poétique ou saisir une politique. 

Chiraz Ben Mrad